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Ma vie parallèle
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Ma vie parallèle
9 février 2008

Chapitre 4 : Amour avec un petit a

OpheliaDepuis quelques mois, j'ai le coeur dans les nuages. Je crois que des fissures se forment dans mon âme à l'approche d'un certain Stéphane. C'est l'assistant de mon kiné. Il doit avoir mon âge, entre 25 et 30 ans. Je l'aime bien, parce qu'il ressemble à un bobby. Un bobby, c'est un mec qui ne m'aurait jamais plu habituellement. Un mec qui ne lit pas, qui écoute du rap, voire même un passionné de voitures. Il n'a aucune conscience politique et les débats à la télé l'ennuient profondément. Et en plus, je crois qu'il aime regarder des matchs de foot. Bref, tout pour plaire. Sur son agenda, il y a un autocollant d'I Am, le groupe de rap marseillais. Au lycée, j'adorais ce groupe et j'avais acheté le CD (on a tous des périodes à la con!). Donc depuis, je me suis remise à l'écouter.

Pourquoi me demanderez vous, me suis-je entichée d'un tel homme? Je crois que le plus séduisant chez lui, c'est sa timidité et sa discrétion. Je le vois souvent quand je suis dans la salle de musculation chez le kiné. Il y est avec ses patients qu'il dirige d'une main de maître. Il a une voix agréable, et un rire viril. Le genre de rire qui veut dire : "ici, c'est mon domaine, c'est moi le mâle dominant". Je fonds. On a eu plusieurs fois des discussions, notamment lorsque je me renseignais sur une voiture à acheter. Le bobby adore parler de voiture, donc c'était facile. Mais malgré nos chouettes discussions, quand on se revoit, c'est comme si tout revenait à zéro. Il faut à nouveau briser la glace, passer la timidité. Chaque étape vaincue la semaine précédente est à nouveau insurmontable. Il me dit à peine bonjour. Et moi, comme je suis une grande timide, je ne fais pas davantage d'efforts. J'aime bien ce jeu de l'éternelle séduction, où chaque fois que tu crois avoir percé l'âme à jour, la plaie se résorbe aussitôt.

Du coup, je minaude... Et oui, comme une adolescente de 15 ans. Je le regarde discrètement, sans mot dire, je lui souris de temps en temps d'une façon complice et lui dis quelques mots. Et cela m'amuse beaucoup, parce que je crois que je le gêne, voire que cela le mette mal à l'aise. Je sais pas, je pense que je ne le laisse pas indifférent. Quand je suis là, il est un peu maladroit, il se cogne dans les appareils ou il trébuche. Du coup, je souris et il rougit un peu. Pour moi, c'est facile, je fais mes exercices consciencieusement pour l'épater, pour lui montrer que je suis pas une lavette. Surtout que je pars de loin. Un jour, j'ai eu trop la honte. Je devais muscler mes jambes en soulevant des poids, mais mes jambes sont tellement frêles que je n'ai pas pu décoller le poids avant 2 sermaines. Il m'a vu en train  de tirer en vain le poids de 5 kg, toute rouge, mais il a été très correct. Après avoir ri sous cape, il m'a aidée à me positionner. Sa caresse était très douce et j'ai rougi deux fois plus.

Et puis, il y a eu ce fameux soir... J'avais eu une journée fatigante (des clients chiants, des problèmes avec ma famille que j'abhorre, des soucis avec les impôts). Bref j'avais besoin de me défouler. Je suis donc allée à mon cours de capoiera très motivée. C'est un sport brésilien qui se situe entre le combat et la danse ; on y vole dans les airs, on tournoie, on chante, on se bat. Cette activité était pratiquée par les esclaves noirs qui s'entrainaient ainsi au combat, sans le laisser voir par leurs geoliers. Mon professeur, un jeune brésilien au corps de rêve, avait du mal avec la notion d'échauffement. Ayant la cheville fragilisée avec mes tendinites chroniques, je me fis donc une entorse lors d'une mauvaise réception d'un beau mouvement aérien. Je m'en rendis compte tout de suite au son que cela produisit par la résonance sur le plancher - craac!-, j'essayai de continuer le cours quand même... J'avais trop besoin de me défouler et d'expulser mes tensions.  Mais la douleur vive me ramena à la raison et je décidai de me reposer jusqu'à la fin de la séance. La douleur se fit lancinante et en quittant le cours clopin clopant, aidée par un camarade, je me rendis directement chez mon kiné pour savoir quelle attitude adopter (je panique vite au moindre bobo). Et là, le cabinet était désert (il était 21 h, un vendredi soir!). Il ne restait que Stéphane, qui traitait ses papiers administratifs, avec I am en musique de fond. J'étais dégoûtée, parce que je n'étais pas d'humeur à minauder. J'avais mal et je ne savais pas quoi faire. Surtout que je devais rentrer chez moi et que c'était pas tout près. J'avais tout donné pour atteindre le cabinet, mon camarade m'ayant abandonnée une centaine de mètres avant (les gens ont autre chose à faire le vendredi soir que d'être garde-malade).

Il me demanda, noyé sous ses papiers, ce qu'il pouvait faire pour moi et là, je fondis en larmes... La lavette! J'avais très mal, j'étais fatiguée et l'émotion de le voir fut la goutte de trop qui fit se déverser à flots le liquide lacrymal. Il me fit entrer dans son bureau, me fit asseoir et me tendis une boîte de mouchoirs. Il réitéra sa  demande avec douceur, mais je ne pus lui répondre entre mes hoquets de sanglots. Je lui montrai ma cheville qui au-dessus de la chaussette brillait de mille reflets violets. Il me défit ma chaussure et ma chaussette avec autant de patience que s'il avait affaire à une gamine en pleurs tombée de vélo. Il s'assit à côté de moi, après avoir pris le matériel nécessaire et mit mon pied nu sur son genou pour traiter mon mal.  Il examina la lésion, puis me massa délicatement la partie endolorie avec une pommade anti-inflammatoire et me fit un strapping pour immobiliser la cheville. Pourn me détendre, il me donna des nouvelles de la communauté de patients qui fréquente le cabinet : Mme Bariolet avait encore fait des siennes et une esclandre avait éclaté entre elle et Marie-Alice, qui ne la supporte décidément plus ; Aline avait affiché son nouveau maquillage et une nouvelle tenue pour fêter l'approche du printemps ; Josiane n'a toujours pas compris l'utilité de mettre un soutien-gorge pour faire du sport... Le sourire revint éclairer mon visage, ça allait mieux. Je me détendis et me  mis à converser tranquillement avec mon sauveur. Il m'offrit un café et un chocolat pour finir de me faire fondre. Soudain je vis qu'il était presque 22 h passées et je ne voulais pas m'imposer outre-mesure. Je m'excusai donc et m'appretai à partir, quand il me proposa de me raccompagner en voiture, m'épargnant ainsi des douleurs. Il finit rapidement de remplir ses papiers et nous partîmes ensemble. Je montai dans sa C3 avec confiance et émotion. La musique, the hoosiers, m'ennivra et nous roulâmes sur mes consignes jusque chez moi ; il se précipita pour m'aider à sortir de la voiture et m'escorta au pied de mon immeuble. J'habitai au 4° étage (sans ascenseur of course!) d'un vieil immeuble bordelais, sous les toits. Rien qu'à l'idée de grimper mon escalier en colimaçon en boîtant, j'angoissai. Heureusement, certainement un serment de kiné qui interdit d'abandonner quiconque a la patte folle au pied d'un immeuble, Stéphane se proposa de me servir de canne jusqu'au sommet de ma tour. Soulagement intense! Excitation secrète aussi. Rapide revue en tête : pas de poubelles qui traînent sur le palier, caisse du chat propre, pas de culottes ou chaussettes jonchant le sol du salon, toilettes désinfectés... Cool, la honte me sera épargnée...

Arrivés au sommet, je posai alors l'ultime question sur le ton le plus innocent du monde : "Tu veux rentrer boire un verre avant de repartir et te reposer de cette ascension?". Comment arriver à avoir l'air prude et innocent quand on n'a que le sexe en tête? Apparemment il ne vit rien de mon manège et accepta ma proposition avec simplicité. Ou peut-être se doutait-il du piège, et voulait-il y être capturé? Va savoir avec les bobbies... Je lui servis alors mon alcool le plus fort, un rhum arrangé par mes soins selon une recette ancestrale, importée par mes parents lors de leurs multiples voyages à la Réunion. J'en pris aussi une grande rasade pour mettre mon inhibition et ma douleur au placard.

Il était intrigué par la déco assez spéciale de mon salon. Beaucoup de rose, de pourpre. Les murs étaient recouverts de tableaux de Modigliani (des reproductions!), des portraits de femmes sans regard, aux yeux vides et au cou longiligne. Des espèces de fantômes qui vivaient avec moi, sans jamais me voir. Dans un coin étaient stockées mes croûtes et il fit mine de s'y intéresser. Arggh, l'horreur!! Je ne voulais pas qu'il voit ces merdes!!! Vite j'entrepris de lui raconter ma passion pour les peintres préraphaélites britanniques qui représentent avec force beauté le suicide d'Ophélie. Voyant son air interrogatif, j'enchainai alors sur l'histoire d'Ophélie qu'il avait l'air d'ignorer. Que soit remerciée la littérature qui offre continuellement de beaux sujets de discussion quand on n'a rien à raconter de sa vie. Ophélie, pauvre victime  d'un amour impossible avec Hamlet, finira morte noyée. Cette tragédie en a même inspiré un poême à Arthur Rimbaud en 1870 :

Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles ...
On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir.
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.

Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid d'où s'échappe un petit frisson d'aile:
Un chant mystérieux tombe des astres d'or.

II

Ô pâle Ophélia, belle comme la neige!
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté!
- C'est que les vents tombant des grands monts de Norvège
T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté;

C'est qu'un souffle inconnu, fouettant ta chevelure,
A ton esprit rêveur portait d'étranges bruits;
Que ton cœur entendait la voix de la Nature
Dans les plaines de l'arbre et les soupirs des nuits;

C'est que la voix des mers, comme un immense râle,
Brisait ton sein d'enfant trop humain et trop doux;
C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s'assit, muet, à tes genoux !

Ciel, Amour, Liberté : quel rêve, ô pauvre Folle!
Tu te fondais à lui comme une neige au feu:
Tes grandes visions étranglaient ta parole
- Et l'Infini terrible effara ton œil bleu.

III

- Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis;
Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys

Triste et belle histoire. Après cette tirade, mes peintures lui étaient sorties de la tête. Mission accomplie. Cependant, la sonnerie de son téléphone nous arracha brutalement du XIX° siècle. Brève conversation. Je compris qu'il était attendu pour voir la finale du superball dans un pub... Fin de soirée en perspective pour la romantique que j'étais. Tant pis. J'avais qu'à aimer le foot et boire des bières. Je lui épargnai la peine de s'excuser en le congédiant dès qu'il eut raccroché.

"- Je suis fatiguée, ça tombe bien que tu doives y aller...

- Ah, ok. Ca va aller quand même?

- Oui, tu sais, les filles, c'est comme ça. Ca pleure pour un rien et ça revient vite au rire, dès que le bobo est passé. En tout cas, merci pour tout. Et désolée de t'avoir embêté avec mon coup de blues...

Je me levai et le raccompagnai à la porte. Et là, tendrement, sans que je ne le sente venir,  il m'enlaça et m'embrassa avec tant de douceur. Des frissons me parcoururent tout le corps, je devenais sucre, miel, quelque chose de doux et de liquide à son contact. Je m'envolai et m'évaporai à la fois. Brrrrrrr!!

- A mardi, au cabinet, comme d'habitude, me lança-t-il en dévalant les escaliers.

Et moi interdite sur le pas de ma porte, je le regardai s'éloigner, mon chat se frottant à mes jambes, désespérant que je m'intéresse enfin à lui...

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